La dimension politique et sociale en Gestalt-thérapie

La dimension politique et sociale en Gestalt-thérapie : une démarche thérapeutique libertaire et potentiellement subversive de l’ordre établi ?
Nous naissons dans un monde que nous n’avons pas choisi. Ni le lieu, ni l’époque, ni les structures sociales, culturelles et familiales dans lesquelles se dérouleront nos premiers pas ne dépendent de notre volonté.
Les apports les plus récents de la théorie de l’attachement montrent combien notre développement est influencé, dès les premiers jours — voire dès la vie intra-utérine — par la manière dont nous sommes aimés, mal aimés, ignorés ou accueillis par nos figures d’attachement. Ces premières expériences affectives laissent une empreinte durable qui façonne notre manière d’être au monde.
Ensuite, nous nous construisons dans l’interaction constante entre nous-mêmes et notre environnement. Cette construction se joue à la frontière-contact entre le soi et l’autre, entre l’individu et les multiples couches de son milieu : familial, scolaire, culturel, institutionnel.
Les normes sociales, la morale dominante, les religions, les valeurs explicites et implicites de la société dans laquelle nous naissons influencent puissamment notre psyché, ainsi que celle de ceux qui nous élèvent. Si rien n’est mis en œuvre, tôt dans notre développement, pour interroger ces influences ou initier une remise en question, elles s’inscrivent progressivement dans nos corps et nos esprits. Elles deviennent des introjects : des éléments intégrés sans digestion, transmis par les systèmes familiaux, éducatifs, médiatiques et étatiques, sur lesquels nous avons peu ou pas de pouvoir individuel.
Un jour, souvent à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, nous pouvons nous éveiller à un profond malaise, à un conflit intérieur ou extérieur avec les figures et institutions qui incarnent ces normes. Nous découvrons alors que le monde dans lequel nous vivons laisse peu de place à la transformation individuelle lorsqu’elle remet en cause l’ordre établi.
Tenter de se libérer de certains conditionnements, de rejeter certains introjects, peut nous exposer à des sanctions : marginalisation, violences sociales, économiques ou domestiques. Et si, dans une tentative de survie ou de révolte, nous exprimons notre agressivité saine — ce mouvement de vie qui vise à poser nos limites et à défendre notre intégrité — nous pouvons faire face à la répression : étatique, judiciaire, policière. Dans les cas les plus extrêmes, cela peut nous coûter notre liberté… voire notre vie.
Ces chemins de rupture, bien que nécessaires pour retrouver un sens et une dignité, peuvent également laisser des traces traumatiques profondes. Ils peuvent entamer notre élan vital, notre désir d’exister et de créer avec les autres.
C’est dans ce contexte que la Gestalt-thérapie, approche humaniste née dans le bouillonnement de la contre-culture nord-américaine des années 1960, peut offrir un espace singulier de transformation. Ancrée dans la relation entre le soi et son environnement, elle permet de remettre en mouvement ce qui a été figé, d’explorer et revitaliser notre agressivité saine, de déconstruire les introjects qui nous empêchent de vivre des rencontres authentiques et créatives avec le monde.
Cette démarche thérapeutique ne prétend pas changer à elle seule les structures sociales injustes. Mais elle peut redonner à chacun·e les moyens de comprendre ses souffrances, de prendre de la distance, de retrouver un souffle vital. Elle peut offrir la force intérieure nécessaire pour vivre avec plus de lucidité et de joie, malgré les oppressions.
Et, parfois, elle peut raviver le désir de s’engager collectivement dans la transformation du monde, de participer à un processus de co-construction d’un avenir plus libre, plus solidaire, plus vivant.
Plus nous devenons conscients des blessures que nous portons, plus nous avons de chances de nous en libérer. Et plus notre sensibilité aux souffrances des autres peut s’approfondir. De cette conscience partagée peuvent naître des mouvements politiques et sociaux porteurs d’espoir, de créativité et de changement réel.